55. Qu'avons nous fait? (Gaëtan)

Publié le par Gaga

 « Restez sages, et il ne vous fera rien. Partez si vous le voulez. »

 

 Sur ces mots, j’entrai dans l’immeuble.

 

 Une fois la porte refermée, je marchai vers les escaliers, tentant de ne pas tomber.  Garder ce niveau que j’avais atteint me demandait une énergie considérable. Toutes mes réserves étaient épuisées, et je ne restai conscient que parce que je me « nourrissais » de ma propre colère. Solution trop épuisante, et dangereuse, mais avais-je d’autres choix ?

 Heureusement, le coup de bluff avec Manu avait fonctionné. Je n’étais vraiment pas en état de le combattre. Seul le Loup l’était, maintenant qu'il avait son propre plan d’existence. C’est pourquoi je l’avais laissé à l’entrée, pour empêcher les autres de me ralentir d’avantage. J’avais déjà perdu beaucoup trop de temps.

 Tout en montant difficilement les escaliers marche après marche, je repensais à tout cela. J’avais maintenant atteint un niveau supérieur. La matérialisation de l’esprit servant était définitive. Elle apportait de grands changements. Je ne pouvais plus parler avec le Loup. Nos esprits étaient maintenant connectés, nous nous comprenions bien mieux à présent. Plus besoin de formuler des phrases. Nous étions deux entités n’en formant qu'une. Très bizarre comme sensation.

 De plus, maintenant qu’il était devenu « réel », il disposait lui aussi de mes pouvoirs, à un niveau minime, mais sans les inconvénients. Un allié de poids dans un combat.

 Je me concentrais d’avantage sur lui. Le Loup m’envoyait des sentiments d’inquiétude. Il tiendrait sa position quoi qu’il arrive, mais il me faisait comprendre qu’il n’était pas d’accord avec cela. Il me savait au bord de l’évanouissement, et puiser dans ma propre colère était le même équivalent qu’un homme souffrant de la faim se dévorant lui-même. De l’autocannibalisme en somme.

 Mais rien ne pourrait m’arrêter. J’étais enfin arrivé à destination. Il n’était peut être pas trop tard.

 Lentement, soigneusement, je gravis les dernières marches qui menaient à mon étage. J’aperçu la porte de mon studio entrebâillée, laissant filtrer un mince trait de lumière.

 Pris d’un vertige, je m’appuyai contre le mur, me forçant à avancer. J’étais si proche. J’avais envie de hurler le nom de Claire, de crier que tout allait bien maintenant, mais je n’en avais pas la force. Je pouvais seulement mettre un pied devant l’autre. Le droit, puis le gauche, puis le droit, et ainsi de suite.

 Alors que j’arrivai enfin au niveau de la porte, que je tendai fébrilement la main pour l’ouvrir, quelqu’un, à l’intérieur, la poussa violemment. Le bois dur heurta ma tête avec brutalité, me projetant contre le mur du couloir. Une silhouette sortie précipitamment et s’engouffra dans les escaliers. Puis, une deuxième sortie, mais se heurta à moi. Je tentai de l’agripper, de la retenir, mais une violente douleur me déchira les intestins.

 Lentement, je m’affalai par terre pendant que l’individu prenait la fuite. Un voile se forma devant mes yeux, un froid mortel me parcouru le corps. Lorsque je baissai les yeux vers le bas de mon corps, je vis une grosse quantité de sang coulant le long de mon ventre pour se répandre sur le sol.

 Il m’avait poignardé !

 D’instinct, je joignis les mains sur la blessure, tentant de stopper l’hémorragie, puis je perdis connaissance.

 Le reste se passa comme dans un rêve. Je repris connaissance, peut être quelques secondes seulement. Juste assez pour penser à Claire. La peur me vrilla l’esprit. Je m’en nourris, prenant un peu de force pour me traîner sur le sol vers le studio.

 Et l’horreur me submergea.

 

 Du sang.

 Partout.

 Du sang sur les murs.

 Du sang sur le sol.

 Du sang.

 Pas mon sang.

 Celui de Claire.

 Et Claire.

 Du sang, et Claire.

 Claire en sang.

 Claire inerte.

 Du sang.

 Claire.

 

 Dehors, j’entendis le loup crier mon désespoir. Il hurlait ma haine. Il hurlait ma peine. Il hurlait à la mort.

 

 Tout devint noir. Quand je repris un peu de lucidité, je tenais le corps de Claire dans mes bras. Mes larmes coulaient en abondance, mon sang se mêlait au sien. Dans le couloir, un bruit. Dans mon dos, un son. Il me semblait que c’était Manu. Ou peut-être Kevin. L’un ou l’autre devait me contempler. Quelle importance ?

 J’entendis des mots. Une phrase.

 

 «Qu’avons-nous fait ?

 

 Non, pas vous. Eux. Mais vous ne m’aviez pas aidé. Vous…

 

 Du sang.

 Claire.

 Pas Asmodée.

 Juste Ma Claire.

 Ils ne m’ont pas aidé.

 Ils n’ont rien à faire ici.

 Ils sont des intrus.

 

 - Sortez, murmurai-je.

 - Gaëtan, fit une voix lointaine.

- Dehors !! Hurlais-je.

 

 Et déployant le peu d’énergie qu’il me restait, je les projettai hors de l’appartement.

 Puis je m’abandonnai aux ténèbres.

 

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