1. Interrogatoire (Ackerman)

Publié le par Gaga

 De la tristesse. Ce sentiment suintait sur les murs blancs de la pièce plongée dans la pénombre où mon collègue et moi nous trouvions. Jamais, au cours de toute ma carrière dans la PJ, je n’avais ressenti cette émotion aussi fortement qu’ici, en sa présence.

 Il était assis sur son lit d’hôpital, le regard plongé dans le vide et immobile. Il n’avait même pas levé la tête à notre entrée. Réaction typique d’une personne en état de choc.

 

 « Je vous prie de ne pas brusquer mon patient, lieutenant Ackerman, me chuchota le toubib alors que nous étions encore dans l’encadrement de la porte.  Il est encore extrêmement faible.

 - Vous ne m’aviez pas dit que la blessure n’était pas profonde, doc ? Demandai-je.

 - Si, mais la blessure tarde à se refermer. Il semblerait que le choc psychologique qui a résulté de ce drame affreux l’ai vidé de ses forces et de sa volonté de vivre. C’est en tout cas la seule explication que j’ai pour expliquer que son état ne s’est aucunement amélioré. Il s’est plongé dans un mutisme profond depuis son arrivé, il n’a pas dit un mot. Il s’est contenté de rester assis là, en ne faisant rien. J’ai d’ailleurs accepté que vous l’interrogiez dans l’espoir qu’il réagisse.

 - On va voir ce qu’on peut faire doc, dis-je en jetant un œil dans la direction du personnage. »

 

 Je pris une profonde inspiration avant d’entrer entièrement dans la pièce, mon collègue sur les talons. Dieu que le type avait l’air jeune.

  Alors que je m’approchai du coté gauche de son lit, un élément de la pièce qui m’avait jusqu’alors échappé m’interloqua.

 

 «  Il est à vous ce chien mon garçon ? demandai-je pour tenter de briser l’atmosphère.

 

 Il ne répondit pas, ne leva pas les yeux vers moi. Il se contenta de tendre la main vers l’animal qui l’accueillit en avançant la tête vers celle-ci.

 Je lançai un regard interrogateur vers mon collègue, qui me répondit en fronçant les soucils, comme si il ne comprenait pas de quoi je voulais parler. « Mauvaise pioche » pensai-je.

 Après quelques secondes, l’animal sorti de mon esprit. Je le savais là, mais il n’était pas là. L’ambiance dans cette pièce devait certainement m’affecter plus que je ne l’aurais pensé. Je pris une profonde inspiration et décidai d’en venir au fait.

 

 «  Bien, mon garçon, puis-je t’appeler Gaëtan ?

 

 Il ne répondit pas.

 

 - Bon, Gaëtan, continuai-je sans me laisser démonter. Je suis le lieutenant Ackerman, et voici mon collègue, le lieutenant Guytain. Nous sommes ici pour te parler des évènements qui se sont déroulés il y a une semaine et qui ont conduit à la mort de ta petite amie dans ton appartement. En fait, nous espérions que tu pourrais nous aider au mieux pour coincer ceux qui lui ont fait ça. Aurais-tu vu leur visage, ou un quelconque détail qui nous permettrait de les identifier ?

 

 Il tourna brusquementt la tête vers moi et plongea son regard dans le mien. Mon cœur se mit a battre plus vite. J’étais vraiment mal à l’aise. Quelque chose dans son attitude m’effrayait.

 

 - Comment savez-vous qu’ils étaient plusieurs, me dit-il d’une voix très rauque, presque inquiétante.

 

 Oups. Première boulette. Il n’avait pas parlé depuis son entrée aux urgences.

 

 - Euh, certains éléments trouvés sur le lieu du crime nous ont permis d’en venir a cette conclusion. Selon toute vraisemblance, ils étaient trois, deux d’entre eux, des hommes, ont commis le crime pendant qu’un troisième semblait n’être qu’un observateur.

 - Un troisième ? Que voulez-vous dire ? Je n’ai vu que deux personnes. Et comment pouvez vous affirmer qu’ils étaient des hommes ?

 

 Deuxième boulette. J’en avais beaucoup trop dit. Son regard me perçait les yeux, j’avais de plus en plus de mal à le soutenir, et à réfléchir. Après un instant d’hésitation, je décidai de jouer franc jeu avec lui. Au moins un contact avait été établi.

 

 - Ecoute mon garçon, je ne devrai pas te dire ça, mais suite à un examen du corps, tout indique qu’elle a été violée, puis atrocement battue. Nous avons prélevé deux ADN différents sur son corps grâce aux traces de spermes, et nous avons aussi retrouvé l’ADN d’un troisième inconnu grâce à des larmes retrouvées à quelques mètres du corps. Aucun des trois ne correspond au tien, ni à celui de tes deux amis qui t’ont trouvés. L’enquête est toujours en cours, c’est pourquoi il faudrait que tu nous aides à coincer les salauds qui ont fait cela pour que la justice s’occupe d’eux.

 

 Il me toisa quelques instants sans dire un mot, puis son regard se tourne vers son chien.

 - Ils étaient cagoulés. Je venai de rentrer et j’ai été poignardé. Il n’y a rien d’autre.

 

 Merde, il se replongeait dans son mutisme. Bien joué Ackerman. J’avais vu cette réaction suffisament de fois pour comprendre que je n’en tirerai plus rien aujourd’hui. J’avais vraiment tout foiré.

 

 - Bien, fis-je. Je ne vais pas insister, mais si tu te rappelles d’une chose, ou si tu veux discuter, je te laisse ma carte.

 

 Je déposai ladite carte sur la table de chevet à côté du lit, puis me dirigeai vers la porte. Juste au moment de sortir, il me lança :

 

 - Lieutenant ?

- Oui ? fis-je en me retournant vers lui.

- Il n’y a pas de plus grande peur, et plus délicieuse, que celle d’un homme qui voit la mort venir. Justice sera faite, mais à ma manière, je vous conseille de ne pas interférer.

 

 Je le regardai, interloqué, puis bredouillai un vague au revoir avant de sortir.

 

 Décidément, cette affaire serait loin d’être simple.

 

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L
Tiens, des nouveaux personnages, intéressant :) toujours hâte de voir la suite!
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A
C'est génial de pouvoir te relire ! J'ai même l'impression que ton style d'écriture a changé depuis le temps, j'ai vraiment plus l'impression de lire un roman. =)
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A
Héhé ! :D<br /> Petite faute au début où tu mets Lieutenant Backen, je pense que tu voulais dire Ackerman.<br /> Ca fait bizarre de voir ce personnage dans ton histoire sachant que je n'avais montré que le caractère précipité et impatient du lieutenant. En tout cas le contexte policier est là et les<br /> procédures et langages semblent bien respectées, bien joué.<br /> Impatient d'en découvrir davantage, je relirai en profondeur cet article, il y a moyen de découvrir des pistes fort intéressantes. L'écriture est toujours bonne, fluide. Continue ! ;)
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